Quand un shōnen des années 2000 renaît sous une nouvelle étoile
Ici CoffeeKeep, et aujourd’hui on ressort le sabre du fourreau pour parler d’un revenant du shōnen de sabre : Samurai Deeper Kyo, œuvre mythique de Akimine Kamijyō, un auteur qui a marqué la fin des années 90 avec son mélange unique de combats nerveux, de mysticisme et de paranoïa historique. Publié à l’origine de 1999 à 2006 au Japon, le titre est revenu cet été 2025 chez KANA dans un beau pavé de 384 pages, en section Manga ado, collection Dark Kana, pour remettre en lumière une série qui se déroulait quatre ans après la bataille de Sekigahara, là où les sabres étaient aussi chargés que les secrets des survivants.

On y suit l’incroyable dualité de Kyoshiro Mibu, ce médecin au sourire doux dont le corps abrite en réalité l’âme de Kyo aux yeux de démon, l’un des guerriers les plus sanguinaires du champ de bataille. Entre la chasseuse de primes Yuya Shiina, qui cherche des réponses qu’elle n’est peut-être pas prête à entendre, et la troublante Izumo no Okuni, qui manipule tout le monde comme un jeu d’éventails, l’histoire avance avec ce mélange de fantastique, de tension politique et de duels stylisés qui faisait vibrer toute une génération.

Édité chez Kana et paru le 23 juin 2025, ce retour remet clairement sur la table un classique qui avait disparu des rayons depuis longtemps, et si comme moi vous avez grandi avec Rurouni Kenshin, vous allez forcément reconnaître ce parfum d’errance et de cicatrices du passé, sauf que Samurai Deeper Kyo pousse le curseur beaucoup plus loin, dans le surnaturel, le complot et l’excès assumé. Reste à voir si ce retour en Star Edition frappe encore aussi fort qu’à l’époque, ou si le démon a perdu un peu de son mordant avec les années.

Sekigahara n’a pas livré tous ses démons
Dans un Japon encore secoué par les séquelles de la bataille de Sekigahara — affrontement décisif de 1600 qui a mis fin à l’ère Sengoku et redessiné le pouvoir du pays — les survivants tentent tant bien que mal de reconstruire leur vie. C’est dans ce climat de tensions politiques, de rancunes encore fraîches et de guerriers sans maître qu’apparaît Kyoshiro Mibu, un simple marchand ambulant au sourire paisible.

Mais cette façade cache une vérité bien plus troublante : le corps de Kyoshiro abrite l’âme de Kyo aux yeux de démon, un samouraï sanguinaire dont la réputation lors de Sekigahara est encore racontée autour des feux de camp. Officiellement mort, officieusement redouté, Kyo cherche maintenant à récupérer son véritable corps.

Tout bascule lorsqu’une chasseuse de primes, Yuya Shiina, se retrouve malgré elle embarquée dans cette dualité improbable. D’abord persuadée d’avoir arrêté un marchand inoffensif, elle découvre vite que Kyoshiro et Kyo partagent bien plus qu’un corps : ils partagent un passé directement lié aux mystères du clan Mibu, une lignée aux pouvoirs surnaturels qui tire les ficelles depuis l’ombre, héritage étrange du chaos laissé par Sekigahara.

Au fil de la route, embuscades, complots et duels stylisés s’enchaînent, chaque rencontre révélant une nouvelle pièce d’un puzzle où pouvoir, identité et destin s’entrechoquent. Et une question persiste : derrière la quête de Kyo pour récupérer son corps… ne se cache-t-il pas quelque chose de bien plus ancien, et surtout, bien plus dangereux ?

Un style 90s qui frappe encore
Visuellement, Samurai Deeper Kyo conserve le style propre aux shōnen de la fin des années 90 : des traits énergiques, des visages expressifs et une mise en scène qui cherche avant tout l’impact. La Star Edition ne remodèle pas le dessin, mais elle le rend plus propre et plus lisible, surtout sur les grandes planches où Kamijyō aimait laisser exploser son sens du spectacle.

Les combats restent le cœur de la mise en scène. Ils sont rapides, intenses, parfois un peu brouillons, mais toujours portés par une volonté d’insuffler du mouvement et de la tension plutôt que de la précision technique. C’est un style qui a vieilli, mais qui n’a rien perdu de sa fougue.

La dualité entre Kyoshiro et Kyo fonctionne encore très bien grâce au contraste graphique. Kyoshiro est dessiné avec des formes plus douces et un air presque inoffensif, tandis que Kyo impose une présence plus anguleuse et animale, comme si chaque case se tendait autour de lui. Cette opposition simple mais efficace donne immédiatement du poids à leur relation.

Enfin, les décors alternent entre réalisme historique et ambiance surnaturelle, créant une atmosphère instable qui correspond parfaitement aux enjeux du récit. On sent constamment que le monde peut basculer à tout moment, et cette tension visuelle reste l’une des forces du manga.

Un trio contrasté et captivant
L’une des forces de Samurai Deeper Kyo repose sur son duo principal, construit autour d’une dualité qui continue de fonctionner même des années plus tard. Kyoshiro Mibu, d’abord présenté comme un marchand ambulant doux et maladroit, n’est pas seulement l’opposé parfait de Kyo : c’est aussi un personnage qui apporte la part d’humour du manga. Avec son tempérament naïf, un brin charmeur, et son intérêt un peu trop prononcé pour les jolies femmes, il sert clairement de levier comique, mais sans jamais sombrer dans la lourdeur. C’est le genre de « pervert gentil » typique des shōnen de l’époque : inoffensif, maladroit, et surtout utilisé pour désamorcer les tensions entre deux scènes intenses.

À l’autre extrémité du spectre, Kyo aux yeux de démon impose immédiatement son aura. Brutal, tranchant, charismatique, il contraste avec Kyoshiro dans absolument tout, de son regard à son attitude, ce qui donne un relief constant à leurs échanges. Son côté mystérieux et son passé sanglant créent une tension permanente dès qu’il prend les commandes du corps qu’il partage.

Yuya Shiina, la chasseuse de primes, apporte une dynamique essentielle au trio. Déterminée, attachante et portée par une quête personnelle qui la dépasse, elle équilibre très bien l’instabilité du duo Kyoshiro–Kyo. Elle n’est pas un simple personnage qui suit le mouvement : elle a sa voix, ses motivations, et une présence qui empêche l’histoire de se transformer en duel interne constant.

Quant à Izumo no Okuni, elle incarne ce mystère typique des récits mêlant politique et surnaturel. Charmeuse, manipulatrice, difficile à cerner, elle flotte constamment entre alliée et menace voilée, ce qui enrichit l’ambiance en rappelant que personne, dans cet univers, ne joue honnêtement.

En réunissant ces personnalités contrastées autour des secrets du clan Mibu, le manga construit un trio (et demi) dont les interactions portent une grande part de l’attrait de la série. Et même en 2025, cette dynamique fonctionne encore avec une efficacité surprenante.

Un retour qui assume ses forces… et ses limites
Samurai Deeper Kyo revient en 2025 comme un rappel clair de ce que les shōnen de sabre savaient offrir à la fin des années 90 : de la fougue, des personnages marqués, une ambiance oscillant entre historique et surnaturel, et cette énergie brute qu’on ne retrouve plus beaucoup aujourd’hui. Et si cette réédition me ramène immédiatement à Rurouni Kenshin, c’est parce que Kenshin fut l’un des tout premiers mangas que j’ai découverts jeune, lors d’une sortie scolaire au Salon du Livre de Montréal. Moi qui lisais surtout Garfield, Gaston Lagaffe, Boule et Bill et Lucky Luke, j’avais alors l’impression d’entrer dans un univers complètement nouveau. C’est ce même choc — cette même sensation de découverte — que Samurai Deeper Kyo réussit à évoquer, même des années plus tard.

La Star Edition de Kana ne réinvente pas l’œuvre, mais elle la remet en avant avec suffisamment de soin pour permettre à une nouvelle génération — ou aux nostalgiques — de redécouvrir le travail de Kamijyō sous un meilleur jour.

Tout n’a pas parfaitement résisté au temps. Certaines mises en scène montrent leur âge, quelques codes narratifs appartiennent clairement à leur époque, et le rythme peut sembler abrupt comparé aux standards actuels. Mais malgré ces aspérités, l’ensemble conserve un charme indéniable, porté par un duo principal unique et un univers empreint de mystère et de tension.

Si vous êtes nostalgiques de l’ère Rurouni Kenshin, ou curieux de revisiter un shōnen de sabre qui n’avait pas peur d’oser, Samurai Deeper Kyo mérite qu’on s’y arrête. C’est une œuvre imparfaite, mais sincère, assumée, et portée par un ADN narratif qui n’existe plus vraiment aujourd’hui.

Un retour qui tranche encore, mais pas toujours au bon endroit.

Merci à La Boite de Diffusion pour la copie du livre.

Pour se procurer le manga, c’est ici.

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