Quand l’apprentissage devient miroir de soi
À la fin du premier tome, la Confrérie du Capuchon avait frappé un grand coup : quatre apprenties, un univers parallèle, un dragon gigantesque. Le genre de fin qui vous laisse suspendu à la dernière page. On reprend donc exactement là où tout s’était arrêté. Coco et ses camarades sont toujours prisonnières de ce monde étrange, incapables d’en sortir seules. C’est finalement leur maître, Kieffrey, qui vient les chercher et les ramène à la réalité. Avec, en prime, une consigne claire : garder le secret. Rien ne doit filtrer. Et déjà, on sent que derrière la bienveillance du maître se cache un savoir plus vaste, peut-être plus dangereux qu’il n’y paraît.

Ce deuxième tome, toujours publié chez Pika, prolonge sans rupture la magie du premier. La mission initiale, partir chercher un nouveau porte-plume pour Coco, s’est soldée par un échec, mais elle ouvre sur une découverte essentielle : le rapport de chacun à son propre outil. Là où d’autres manient la plume avec élégance, Coco peine. Son trait tremble, hésite, s’égare. Jusqu’à ce qu’elle essaie une pierre teintée, semblable à celle qu’elle utilisait autrefois dans la boutique de couture de sa mère pour tracer les patrons sur les tissus. Et là, miracle : tout s’aligne. Le trait devient sûr, la magie fonctionne.

C’est un moment charnière, à la fois simple et symbolique : l’autrice relie la magie à la mémoire personnelle. La pierre n’est pas un gadget, c’est un prolongement de Coco, de ce qu’elle est, de son passé et de son rapport manuel au monde. La magie n’est pas seulement une question de technique ou de don, mais d’adéquation entre soi et l’outil. Ce que l’on crée le mieux, c’est ce qui nous ressemble.

Les personnages, entre rivalité et transmission
Ce tome met davantage en avant Agathe, l’une des apprenties déjà sous la tutelle de Kieffrey. Autant Coco avance portée par la curiosité et l’émerveillement, autant Agathe veut tout maîtriser. Elle veut être la meilleure, la première, celle dont on parle avec admiration. Cette envie la pousse, mais la consume aussi. On la sent tendue, impatiente, frustrée par ses limites. Kamome Shirahama la dessine avec justesse : Agathe n’est pas une rivale méchante, mais une jeune fille qui a peur de ne pas être à la hauteur.

Face à elle, Coco progresse autrement. Plus lente, plus hésitante, mais animée d’une sincérité désarmante. Elle apprend, se trompe, recommence. Et sans s’en rendre compte, elle avance plus loin qu’elle ne le pense. C’est probablement pour cela que leur relation fonctionne si bien : l’une incarne l’ardeur, l’autre la patience.

À leurs côtés, Kieffrey continue de jouer ce rôle de mentor bienveillant mais insaisissable. Il protège, observe, guide à demi-mots. On devine qu’il en sait bien plus qu’il n’en dit, surtout sur cette fameuse Confrérie du Capuchon. Il garde ce côté mystérieux, presque ambigu, qu’on n’arrive pas à cerner totalement. Et puis, il y a Maître Olugio, nouveau venu dans ce tome. Plus droit, plus strict, presque l’opposé de Kieffrey. Là où Kieffrey laisse faire, Olugio cadre. Il incarne l’autre visage de l’enseignement : la rigueur, le devoir, la responsabilité. Leur contraste donne de la profondeur à l’univers : il n’y a pas une seule façon d’être maître, ni une seule manière d’apprendre.

Une ambiance toujours aussi unique
Là où beaucoup de séries fantastiques se lancent dans la surenchère d’action, L’Atelier des Sorciers reste fidèle à son ton : calme, feutré, enveloppant. Kamome Shirahama continue de tisser ce monde entre rêve et réalité avec une grâce incroyable. Les décors fourmillent de détails : pierres, tissus, herbes folles, fioles de verre. On ne lit pas seulement le manga, on le respire. Je disais déjà dans ma critique du premier tome que quelque chose, dans ce dessin, me rappelait les illustrations anciennes du XIXe siècle. Je n’arrive toujours pas à mettre le doigt dessus. Ces visages ronds, ces drapés, ces atmosphères feutrées me font penser à des publicités ou des gravures d’époque, à ces images de poupées de porcelaine un peu figées, mais pleines de douceur. Peut-être qu’un jour, ça fera “bing”, et je retrouverai d’où vient cette impression. En attendant, elle participe pleinement au charme du manga.

Malgré quelques scènes sombres, la pluie, la grotte, le combat contre le dragon, rien n’est jamais vraiment froid. Même la nuit semble tiède. C’est une œuvre qui réchauffe, littéralement. Lire L’Atelier des Sorciers, c’est comme enfiler un pull chaud après un long jour dehors : on se sent enveloppé, apaisé, à sa place.

Un rythme posé mais maîtrisé
Ce tome compte six chapitres, comme le précédent, et chacun se lit sans accroc. L’histoire avance avec la même lenteur volontaire : ni précipitation, ni lourdeur. C’est une lecture de respiration. Les scènes s’enchaînent avec fluidité, les transitions sont douces, presque imperceptibles. On ne tourne pas les pages pour savoir “ce qui va se passer”, mais pour rester un peu plus longtemps dans cet univers.

Et pourtant, la trame avance. Sans en dire trop, la fin met Coco et Agathe face à une situation où leur magie doit servir au bien public. Un vrai test, concret, qui confronte la théorie à la pratique. On sort du cocon de l’atelier pour entrer dans le monde réel, et cette ouverture donne envie de poursuivre.

En conclusion
Ce deuxième tome confirme tout ce que j’avais aimé dans le premier. C’est doux, sincère, cohérent. On reste dans la continuité, sans perte de qualité, avec ce même équilibre entre émerveillement et émotion. L’Atelier des Sorciers parle de magie, oui, mais surtout d’apprentissage, au sens large : apprendre à tracer, apprendre à vivre, apprendre à se connaître.

Kamome Shirahama continue d’envelopper son lecteur dans un univers d’une beauté rare, à la fois intemporel et profondément humain. Coco poursuit son chemin, Agathe s’affirme, et le duo Kieffrey–Olugio structure tout cela d’une manière discrète mais essentielle. Rien n’est forcé, rien n’est criard. Juste une série qui prend le temps de respirer, de grandir, et de nous emmener doucement avec elle. Un manga qui continue de faire du bien, page après page.

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