Bonjour à toutes et tous, ici Thibni, votre sous-fifre attitré du Dieu Geek ! Aujourd’hui, je vous invite à poursuivre avec moi cette série aussi tendre que savoureuse, qui m’a ouvert les portes du Josei — un genre plus intime, plus réaliste, et souvent bien loin de l’univers Shonen/Seinen que je fréquente habituellement. L’Amour est au Menu (Tsukuritai Onna to Tabetai Onna, littéralement La femme qui veut cuisiner et celle qui veut manger) est une œuvre signée Sakaomi Yuzaki, publiée au Japon en 2021 chez Kadokawa Corporation. Grâce à l’éditeur AKATA, les lecteurs québécois peuvent désormais savourer les trois premiers tomes en français — le troisième étant disponible depuis le 31 janvier 2025.

Ce manga n’est pas une romance traditionnelle. C’est une histoire de solitude douce, de partage sincère, de petits plats offerts comme autant de gestes d’affection. Deux femmes, deux trajectoires, et une lente complicité qui mijote à feu doux, chapitre après chapitre.
Une œuvre à découvrir lentement, même pour les lecteurs et lectrices qui, comme moi, posent leur première fourchette dans l’univers du Josei.

À noter : Cette œuvre a également été adaptée en drama live-action, diffusé en deux saisons (2022 et 2024), sous le titre Tsukuritai Onna to Tabetai Onna. Chaque épisode dure environ 45 minutes: parfait pour prolonger l’expérience entre deux chapitres !

Un début d’amour
Alors que Nomoto et Kasuga poursuivent leur quotidien côte à côte, chacune en vient peu à peu à mieux se comprendre à travers l’autre. Une nouvelle voisine fait son apparition et, bien qu’elle soit très différente des deux femmes, elle s’intègre rapidement à leur petit cercle amical grâce à sa sensibilité et à son regard attentif, captant des détails que ni Nomoto, ni Kasuga n’osent toujours pas se dire à voix haute. C’est aussi dans ce tome que Nomoto, guidée par une amie proche nouvellement introduite, découvre une part d’elle-même qu’elle n’avait jamais pleinement explorée. Cette amie l’amène à questionner ses sentiments, à travers des discussions sincères et même le visionnement de films à thématique particulière… jusqu’à envisager, pour la première fois, que les émotions qu’elle ressent pour Kasuga pourraient bien être de l’amour. Avec l’arrivée de ces deux nouveaux personnages (la voisine et l’amie confidente), le récit gagne en maturité, en nuance, et continue de tisser ses liens avec douceur et authenticité.

Quand l’acceptation devient un acte de résistance
Alors que les personnages se rapprochent et que de nouveaux visages entrent en scène, un balancement émotionnel plus complexe émerge, tissant un dialogue entre les blessures du passé, les sentiments du présent et un profond désir de mieux se comprendre. Le tome aborde de façon sensible plusieurs questions liées à l’identité, qui viendront sans doute résonner chez une partie du lectorat.

L’évolution du récit se teinte également d’une influence plus marquée de la culture occidentale, en contraste avec des éléments traditionnels japonais encore bien ancrés. Ce choc de valeurs soulève des tensions parfois dérangeantes, notamment à travers le prisme des obligations familiales. Une scène marquante, par exemple, met en lumière la pression exercée par un patriarche pour que l’héroïne sacrifie une part d’elle-même afin de répondre aux besoins d’une grand-mère dépendante. Bien que la situation mérite réflexion, la manière dont elle est présentée laisse planer un malaise justifié.

De l’amertume au réconfort : un voyage émotionnel
Ce troisième tome approfondit la thématique de la découverte de soi, en mettant en lumière les répercussions que peuvent avoir certaines décisions lorsqu’elles entrent en conflit avec les attentes familiales. On y ressent avec force combien l’équilibre intérieur peut vaciller lorsqu’on cherche simplement à être accepté tel que l’on est, sans masque ni compromis. Le récit aborde cette quête d’authenticité avec beaucoup de pudeur, mais aussi une intensité nouvelle, soulignant à quel point le besoin de reconnaissance — surtout de la part de ceux qu’on aime — est essentiel pour pouvoir s’épanouir pleinement.

Se nourrir… d’acceptation
L’autrice réussit, une fois de plus, à saisir l’essentiel de ce qui rend cette série si unique : la beauté visuelle des plats présentés, mais aussi celle — plus subtile — des liens humains qui se tissent lentement. La nourriture, toujours mise en valeur avec autant de soin, regorge de détails colorés et savoureux qui donnent presque envie de tendre la main à travers la page. Mais au-delà de cette gourmandise graphique, un contraste plus sombre s’installe : celui des malaises liés à la nourriture, des blessures parfois invisibles qu’elle peut dissimuler.

Certaines scènes traduisent, avec pudeur mais efficacité, la charge émotionnelle que peut porter un repas lorsqu’il devient le théâtre d’une tension, d’un malaise ou d’une attente silencieuse. Ces passages, teintés d’une aura presque ésotérique, révèlent une autre facette du récit : celle où la nourriture n’est plus seulement un geste de générosité, mais aussi un miroir de notre relation à soi et aux autres.

Entre blessures cachées et beauté révélée
J’ai été profondément touché par les teintes plus sombres que ce tome ose aborder, notamment autour du rapport parfois troublé à la nourriture. C’est une réalité intime, souvent taboue, que certaines personnes vivent depuis toujours — et ici, elle est traitée avec une justesse méthodique et une sensibilité artistique admirable. La recherche de soulagement, le désir d’être accepté tel qu’on est, sans jugement ni condition, émerge comme un fil conducteur bouleversant de sincérité.

On sent une vraie réflexion de la part de l’autrice, une volonté d’aborder des zones de vulnérabilité rarement montrées avec autant de délicatesse. En contrepoint, la rigidité d’un cadre familial patriarcal vient alourdir ce parcours intérieur, mettant en lumière le courage qu’il faut parfois pour simplement exister en dehors des cases imposées.

Conclusion
Avec ce troisième tome, L’Amour est au Menu confirme qu’il n’est pas simplement une chronique de voisinage autour de bons petits plats, mais bien un récit d’une rare tendresse sur l’identité, le respect de soi et les liens humains qui se tissent en silence. Sakaomi Yuzaki continue de nous livrer une œuvre profondément humaine, qui n’a pas peur d’explorer les inconforts, les contradictions et les zones d’ombre qui habitent nos rapports aux autres… et à nous-mêmes.

C’est un manga qui prend le temps — celui de nous parler doucement, de nous faire réfléchir, de nous réconforter aussi. À travers cette exploration de la nourriture comme lien, comme langage, mais aussi parfois comme fardeau, le récit ouvre la porte à une sensibilité rare, précieuse, et terriblement actuelle. Une série à poursuivre avec attention, et surtout, avec le cœur grand ouvert.

Merci à Interforum pour la copie du livre.

Pour se procurer le manga, c’est ici.

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